« (Ren)Forcer le « Dialogue Social » ? Négociations et Conflictualités au travail en France à l’aune des ordonnances Macron »
Pour le programme de la journée, cliquez sur ce lien: Journée d’Etudes
Alors que les récentes «ordonnances Macron» modifient profondément le code du travail, la plupart des transformations soulignent la nécessité de «renforcer le dialogue social», et visent ainsi à amplifier plus encore la pratique de la négociation collective à l’échelle de l’entreprise, faisant de celle-ci le lieu central de la production des normes sociales. Ces changements menés au nom du « dialogue social » sont notamment justifiés par un appel à la «raison» des salariés et de leurs représentants, en présentant comme rationnelles et incontournables des mesures qui prennent pourtant appui sur une conception partiale du monde organisationnel.
Encourageant les discussions dépolitisées et apaisées entre parties prenantes, la démocratisation du dialogue permettrait ainsi de contourner les éternels blocages et conflits -apparemment si caractéristiques du monde du travail français- en remplaçant les désaccords irréfléchis et passionnés en accords raisonnables car raisonnés. Ce faisant, l’esprit des décrets tend à discréditer toute notion de domination, de conflits ou de rapports de force, pourtant essentielles dans la compréhension des rapports sociaux et du fonctionnement des organisations.
Or, loin d’être exclusifs et de s’opposer, le dialogue et la discorde s’articulent et se conjuguent selon des modalités variées. L’objectif de cette journée est de (re)penser l’articulation entre les négociations collectives et les conflictualités plurielles qui traversent les mondes du travail français, à l’aune des bouleversements inédits introduits par les récents décrets.
En effet, si ces ordonnances ne défendent pas des idées nouvelles, elles actent cependant l’aboutissement de plus de trente ans de «mise en crise» du droit du travail, autour d’un changement progressif de paradigme, généralement qualifié de « tournant entrepreneurial ». Initié aux débuts des années 1980, la dynamique de diffusion du paradigme néolibéral s’est peu à peu traduite en contre-révolution symbolique, consistant à interpréter le droit du travail non plus comme l’outil de protection des travailleurs, mais comme un moyen de sécuriser la compétitivité des entreprises.
La proposition première du désormais célèbre « Rapport Combrexelle » souligne bien cette nouvelle priorité, puisque celui-ci insiste particulièrement sur la nécessité d’« élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un contexte concurrentiel et de crise économique ». Chaque amendement ou transformation du droit sont en effet désormais justifiés par le recours à un dialogue social localisé, raisonné et réalisé au plus près des réalités organisationnelles. Alors que la définition et les contours du « dialogue social » prôné par les ordonnances restent flous, ses orientations radicales démontrent sa nature profondément politique.
De fait, c’est aujourd’hui ce que le droit du travail représente sur un plan historique qui est menacé de disparaître, à commencer par son interprétation habituelle dans un sens essentiellement favorable aux salariés. Le risque lié au contexte actuel est donc de voir aboutir des dispositions qui, tout en favorisant principalement l’intérêt des employeurs, fragilisent et précarisent les employés.
Dès lors, en plus des réflexions sur la portée et les impacts de ces évolutions dans un contexte encore en construction, il s’agira également de s’interroger sur les formes de résistances des salariés, dans un contexte où le renversement du traditionnel « principe de faveur » accentue l’individualisation et la singularisation des situations professionnelles. En lien avec la dispersion des négociations et les bouleversements introduits dans le fonctionnement habituel des instances représentatives du personnel (IRP), nous soulevons la question des capacités des représentants des salariés à (re)créer des « collectifs », et à assurer la cohérence et la cohésion de contestations individuelles ou fragmentées. Tout en ouvrant le débat sur la transformation proprement contemporaine du travail syndical et du travail d’expertise, nous aborderons également les usages managériaux de la négociation collective… et ses éventuelles difficultés.
En effet, contrairement à ce que semblent stipuler les nouvelles lois, le dialogue social formel et « institutionnalisé » ne se décrète pas. La loi ne peut faire l’économie d’une compréhension fine des configurations organisationnelles locales et de la grande complexité sociale dans laquelle ces ordonnances sont censées s’appliquer. Si la négociation collective est une disposition juridique, elle n’en demeure pas moins une pratique sociale, construite et influencée par l’histoire des organisations et leurs particularités contextuelles.
Parce que la prise en considération des situations et des dispositions locales est essentielle dans la compréhension des dynamiques de négociations et de conflits, cette journée accorde une grande importance à l’expérience de terrain, et repose ainsi sur la participation de nombreux représentants de salariés d’horizons divers, ainsi que d’experts dans le domaine des relations professionnelles (membres de cabinets d’expertise en Comité d’Entreprise et CHSCT). L’un des intérêts majeurs de cet événement est donc de donner l’opportunité à des chercheurs, à des professionnels et à tout public intéressé de se rencontrer et de prendre un moment pour échanger sur un sujet crucial et brûlant d’actualité.
Organisation de la journée :
Cette journée d’étude aura lieu le Jeudi 14 Juin de 8h30 à 17h30 sur le campus de emlyon Business School (Ecully). L’événement est pris en charge par le Laboratoire OCE de l’école (Organisations, Carrières, Nouvelles Elites), dont la particularité est de développer des approches politiques et critiques du management.
Dans ce contexte relativement « sombre », l’idée de cette journée est de réfléchir tou.te.s ensemble (chercheurs, militants, experts, ou simples intéréssé.e.s) à la portée des nouvelles ordonnances, dans une ambiance informelle, conviviale et bienveillante.
Pour les participants, le petit-déjeuner, le déjeuner et l’apéritif sont offerts, dans la limite des places disponibles (60 personnes). Un bulletin d’inscription en ligne sera émis très prochainement.
La journée d’étude sera divisée en deux parties : le matin est dédié à la Conférence (~9h00-12h30), donnant lieu aux interventions de Baptiste GIRAUD, Sophie BEROUD, Thierry DEFRESNE, Marie-Rachel JACOB et Cécile NICOD & Carole GIRAUDET, tandis que l’après-midi est consacrée à deux ateliers-débats (~14h-16h30), dans la continuité des réflexions initiées dans la matinée. La journée se termine par une conclusion générale de Karel YON (17h00-17h30), suivie d’un apéritif auquel sont convié.e.s tou.te.s les participant.e.s qui le souhaitent.
Les ateliers-débats correspondant à deux thématiques complémentaires mais traités distinctement (le choix d’un des deux ateliers sera à préciser avant l’événement) :
Atelier n°1 : « Des-accords ou Dialogue : quels usages de la négociation et quels conflits quand tout est négociable? ».
Description : Les réformes législatives actuelles contribuent à modifier profondément les règles de fonctionnement du « dialogue social » en faisant de l’entreprise le socle à partir duquel la plupart des normes d’emploi se négocient. Ces transformations radicales d’un point de vue historique nous invitent à nous interroger plus précisément sur les conditions sociales de fabrication de ce dialogue à l’échelle locale, et sur les modalités complexes d’appropriation ou de contournement de ces règles de la part des salariés, de leurs représentants et du management. En effet, les négociations collectives se trouvent saisies par les équipes de directions et les représentants des salariés dans une logique de rapport de force (parfois masquée), dont les modalités n’ont toutefois rien d’univoque ni de mécanique, puisqu’elles varient fortement selon les secteurs et les organisations, aux particularités locales, historiques, professionnelles et sociales variées. En prenant soin, par le biais d’exemples concrets issus d’expériences de terrain, d’articuler l’analyse du « dialogue social » aux multiples configurations organisationnelles qui contribuent à en façonner les pratiques, nous nous intéresserons ici à la pluralité de ses usages de la part des salariés, de leurs représentants et des directions d’entreprise. Si nous nous interrogerons sur l’évolution du travail des représentants du personnel au regard, en particulier, de la profonde modification des périmètres et des pouvoirs des Instances de Représentations du Personnel (IRP), nous accorderons également une attention toute singulière, dans ce contexte, au travail de « management du dialogue » de la part des équipes de direction, et aux multiples manières dont la négociation peut être intégrée (ou non) aux autres dispositifs de gestion de l’entreprise, aussi bien pour mobiliser les salariés que pour contourner les revendications collectives ou canaliser les conflictualités.
Atelier n°2 : « Quel « travail syndical » à l’ère de l’individualisation des normes d’emploi ? »
Description: Pour que des mobilisations et des revendications collectives voient le jour, encore faut-il que des collectifs de travail existent, ou du moins une impression d’appartenance à une même communauté de conditions, d’intérêts et d’espérance. Or, si, en concourant à individualiser les situations et les destinées professionnelles, les transformations des modes de production, des organisations du travail et des pratiques de ressources humaines n’ont pas totalement fait disparaître les résistances collectives des salariés, elles semblent toutefois avoir contribué à éroder durablement la portée et la résonance collective de leurs doléances. Les récents décrets bouleversant les règles de fonctionnement du dialogue social s’appuient sur ce contexte de morcèlement des collectifs et d’individualisation du traitement des salariés en même temps qu’ils en accentuent le phénomène de manière inédite. Dans ce cadre imposé à marche forcée, un certain «travail syndical» de représentation et de mobilisation collective des salariés se trouve ainsi profondément contraint, à degré divers et de manière variée selon les secteurs et les particularités organisationnelles. Nous souhaitons dans cet atelier nous intéresser plus particulièrement sur les possibilités différenciées des syndicats à initier des mobilisations collectives et à produire des contre-discours unificateurs auprès des salariés, apportant cohérence et cohésion aux éventuels mouvements de protestations. A l’aune des bouleversements législatifs actuels, il s’agit en effet de nous interroger sur leurs capacités localement variables à construire un rapport de force et à assurer la défense d’intérêts collectifs, ainsi que leurs aptitudes inégales à (re)produire, parmi les salariés, un sentiment d’appartenance à une même communauté de destins, qui dépasse le simple cadre de leur organisation.